Nous avons tous en mémoire le discours de Martin Luther King et son refrain « I have a dream », celui de Charles de Gaulle et son fameux « Paris libéré ! », ou encore le non moins célèbre « Yes we can » de cet ex-président américain. Ces discours politiques fonctionnent comme des musiques que l’on fredonne ; ils ont pour effet de nous galvaniser, de nous fasciner.

On se souvient davantage des performances vocales et gestuelles de leur locuteur que des arguments employés. Perceptivement, les éléments prosodiques de la voix, c’est-à-dire le rythme, la tenue, l’intensité et l’intonation mais aussi les pauses et les silences nous permettent la compréhension d’informations essentielles, au-delà des mots prononcés. Mais que se passe-t-il lorsque le discours, privé de la voix et des gestes de l’orateur, isolé de son contexte et de son public, se trouve retranscrit sèchement sur papier ? Les mots du discours ne font pas le discours. En les voyant écrits, on n’est pas soumis à l’expérience hypnotique de la performance vocale, on perd l’essence même du discours. Comment retrouver dans le discours écrit le niveau de communication lié à la voix, aux gestes et au contexte de celui-ci ?

Le projet s’est formé autour de cinq discours emblématiques, passés ou contemporains, français ou américains.
J’ai travaillé mes éditions en deux étapes.

Dans un premier temps, j’ai imaginé un système paramétrique comprenant seize variantes typographiques pouvant couvrir – à quelques exceptions près – l’ensemble des sons produits par leurs orateurs. Chaque son est associé à une variante et chaque silence est représenté par un vide. Les mots sont comme des « images audibles » qui résonnent à la fois par leur signification et par leur forme typographique. Ce système, je l’ai appliqué de façon symétrique à tous les discours.

extrait du spécimen de typographie variable réalisée avec Prototypo [PDF]

Dans un second temps, j’ai ajouté des inserts propres à chaque discours (photos, trames, mots…), permettant de matérialiser le caractère singulier de l’orateur et/ou de ses messages. Ces inserts peuvent cohabiter avec le texte, se fondant parfaitement entre les lignes, ou vivre en dehors du livre, isolés du texte, prenant la forme « d’exergues graphiques » du discours. Dans sa forme repliée ou déployée, l’édition permet d’apprécier le discours aussi bien dans sa temporalité que dans sa spatialité. Le livre devient alors un relais graphique, une partition analogue à celle du musicien. Il retient en quelque sorte le discours captif des deux dimensions de la page, mais désormais augmenté de sa théâtralité originelle.

J’ai voulu, par ce travail, rendre au discours écrit la plénitude de ses dimensions sensorielles pour en restituer toute l’énergie du moment historique où il a été délivré.